Après une large concertation à laquelle ont participé notamment les associations d'élus locaux, le conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP) vient de rendre public un avis sur la prise en compte des emprunts et instruments financiers complexes dans la comptabilité des collectivités territoriales, des établissements publics de santé et des offices publics de l'habitat. Ce document fait suite à un premier avis publié il y a un an, qui précisait le contenu des informations sur la dette devant figurer dans les annexes budgétaires de ces entités publiques locales.
Le ministère du Budget a saisi le CNOCP de l'ensemble de ces questions dès le mois suivant son installation en septembre 2009. Le "scandale" des emprunts structurés souscrits par le secteur public local, dont les taux peuvent grimper de manière totalement imprévisible et parfois sans limite, avait éclaté un an auparavant. La Cour des comptes a rapidement cerné l'importance de la dimension des comptes publics locaux dans cette affaire. Dans son rapport annuel de février 2009, elle pointait notamment, parmi les facteurs ayant favorisé le développement de produits financiers toxiques, l'inadaptation des normes comptables applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements. Ces normes "ne prévoient aucune disposition spécifique aux 'produits structurés'", constataient les juges financiers dans ce rapport. Ils relevaient même des "entorses aux principes comptables" et une contradiction des règles comptables en vigueur avec le principe de prudence dont s'inspirent les instructions budgétaires et comptables.
Anomalies dans les règles comptables
Le principal problème tient au fait que le provisionnement financier des risques attachés à la souscription de produits bancaires complexes demeure facultatif pour les communes et certains établissements publics. Et au fait que, lorsque les organismes ont tout de même constitué des provisions, ils l'ont parfois fait pour des montants insuffisants. Par exemple, l'OPH Pas-de-Calais Habitat, qui est détenteur de produits structurés, a par le passé sous-évalué une provision de "plusieurs dizaines de millions d'euros", indiquait la Cour des comptes dans son rapport sur la gestion de la dette publique locale paru en juillet 2011.
Marie-Pierre Calmel, secrétaire générale du CNOCP, souligne par ailleurs que "la règle, pourtant vertueuse, selon laquelle les collectivités ne doivent pas présenter un budget en déficit, ne les a pas encouragées à quantifier et anticiper les risques attachés aux emprunts structurés". En effet, "l'élu dont la collectivité passe une provision dans ses comptes, pense nécessairement aux impôts dont il devra peut-être relever les taux pour faire face à la perte financière correspondante", souligne-t-elle.
L'avis émis le 3 juillet dernier par le CNOCP propose de compléter et préciser les règles existantes en matière de comptabilisation des emprunts complexes, principalement pour "mieux traduire comptablement les risques pris" du fait de la souscription de ces emprunts. Il s'attache en premier lieu à distinguer les produits simples, de ceux qui sont complexes. Pour ces derniers, il décrit une méthode de comptabilisation. "Ces produits doivent faire l'objet d'une évaluation financière du risque dès leur mise en place (...). Dès lors que cette évaluation fait apparaître un risque de perte dont le montant est supérieur à la bonification obtenue, une provision est constituée à hauteur de cet écart", est-il notamment préconisé. En notant que l'évaluation devra être réactualisée chaque année à la clôture de l'exercice.
Dès à présent, les ministères concernés travaillent à la traduction de l'avis du CNOCP dans les instructions budgétaires et comptables du secteur public local. Celles-ci seront modifiées par voie d'arrêtés à la fin de l'année pour une entrée en vigueur dès l'exercice comptable 2013.
Un impact budgétaire limité
La nouvelle réglementation va "mettre un terme aux pratiques passées", assure Marie-Pierre Calmel. Elle aura des conséquences positives sur le plan comptable et au-delà. Car l'évaluation du risque financier devrait devenir un réflexe plus naturel des collectivités, probablement aussi avant qu'elles ne signent les emprunts. Leurs responsables seront donc plus vigilants lorsqu'ils rencontreront leurs banquiers.
Ces nouvelles obligations comptables auront évidemment un impact financier sur les budgets des collectivités locales. Mais, comme l'ont demandé les associations d'élus locaux, tout a été fait, avec l'accord de Bercy et du ministère de l'Intérieur, pour minimiser cet impact. Les collectivités touchées par les emprunts structurés auraient, sinon, subi une "double peine".
Pour tous les emprunts souscrits avant l'entrée en vigueur des nouvelles règles, les collectivités inscriront en effet dans leurs comptes une provision dont le montant est calculé au 1er janvier de l'exercice. Mais celle-ci n'affectera pas le budget. Seule la variation de la provision constatée au 31 décembre du même exercice aura un impact budgétaire. Conclusion : sauf dans des cas exceptionnels, les élus locaux ne devraient pas être obligés d'augmenter les taux de fiscalité en vue de financer les provisions comptables. Reste que les jeux d'écritures comptables à passer, singulièrement compliqués, pourraient constituer de vrais casse-tête pour les petites collectivités.
Thomas Beurey / Projets publics
"Les décisions de justice l'emportent sur les pratiques comptables"
Le maire de Sassenage (Rhône-Alpes), Christian Coigné, peut garder le sourire : l'avis du CNOCP n'entre pas du tout en contradiction avec l'avis relatif à sa commune qu'a rendu le 31 mai dernier la chambre régionale des comptes (CRC) d'Auvergne-Rhône-Alpes. Cet avis de la CRC a donné raison à la ville iséroise qui n'avait pas payé les intérêts liés à deux emprunts souscrits auprès de Dexia. Le fait que la commune ait assigné la banque franco-belge devant le TGI de Nanterre pour obtenir la nullité des contrats de prêts constitue, aux yeux des magistrats, une contestation sérieuse de la créance dans son principe et dans son montant. Ils en concluent que la créance n'est pas une dépense obligatoire et que le préfet n'a pas à l'inscrire d'office au budget communal. Précisons que la ville a tout de même inscrit à son budget les sommes correspondant aux intérêts des deux emprunts et qu'elle les a consignées, au cas où le tribunal rejetterait sa requête. En cas de succès en justice, la ville de Sassenage sera libérée de ses obligations. "Les décisions de droit l'emportent sur les pratiques comptables. Lorsqu'il y a un litige, la comptabilité ne fait que transcrire les décisions judiciaires qui sont prises", commente la secrétaire générale du CNOCP.
T.B.
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