La France, au sixième rang en nombre de publications, n'arrive qu'à la vingtième place en termes de brevets. Ce douloureux constat, rappelé par la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, traduit les difficultés à transformer la recherche académique en débouchés pratiques et commerciaux. La question a été posée à l'occasion du colloque organisé le 26 novembre 2013 par la préfecture de la région Ile-de-France, en partenariat avec la délégation interministérielle à l'intelligence économique sur "l'intelligence économique territoriale au service de la recherche et de l'innovation".
Pour faciliter le rapprochement entre ces deux mondes, la délégation à l'intelligence économique a mis au point un "pipeline de l'innovation" destiné à permettre une valorisation industrielle des résultats de recherche, et de limiter les "fuites", qu'il s'agisse des inventions qui restent sur l'étagère ou des publications parues avant le dépôt de brevet ou carrément sans dépôt. "L'enjeu est d'accélérer le débit de ce pipeline pour créer un cercle vertueux", a expliqué Marie-Pierre Van Hoecke, conseillère scientifique senior à la délégation interministérielle à l'intelligence économique, c'est-à-dire conforter les relations industrie-recherche le plus en amont possible de l'innovation.
C'est également l'objectif du nouveau plan pour l'innovation présenté par Jean-Marc Ayrault le 4 novembre 2013 : "Construire une organisation qui ne soit pas marquée avant tout par les frontières ou par l'esprit de clocher mais qui encourage au contraire les échanges entre les acteurs et qui favorise le passage des idées de l'un à l'autre", a ainsi déclaré le Premier ministre lors de la présentation du plan, insistant sur le développement de laboratoires communs entre recherche publique et PME, tels que les 34 instituts Carnot, et sur les nouvelles missions des universités définies par la loi sur l'enseignement supérieur de juillet 2013, concernant le transfert de la recherche publique vers les entreprises.
Plusieurs mesures de ce plan trouveront une traduction concrète dans loi de finances 2014 : nouveau crédit d'impôt innovation, crédit d'impôt recherche sanctuarisé, statut des jeunes entreprises innovantes (JEI) renforcé programme d'investissements d'avenir, Fonds national d’innovation mis en place dans le cadre du programme d'investissements d'avenir... Mais au-delà des financements, la difficulté majeure provient du fait que ces deux mondes, recherche et entreprises, ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Les uns, les chercheurs, tentent de produire de la connaissance, les autres, les industriels, veulent produire des biens et des services innovants, s'assurer un monopole... Avec des coûts de production élevés, l'innovation est le moteur de la compétitivité. "Il y a ce choc des temporalités et des finalités à résoudre, explique à Localtis Richard Le Goff. On ne peut résoudre ce paradoxe que si on est dans un ancrage territorial car à ce niveau, peuvent être créées des infrastructures (pôles de compétitivité, sociétés d'accélération du transfert de technologies-Satt), et on peut y ajouter des couches de services."
Ainsi, le territoire offre aux chercheurs et aux entreprises la possibilité de se rencontrer, de se connaître et de se faire confiance pour mieux travailler ensemble. "Le territoire permet de diminuer l'incertitude, détaille l'enseignant. Quand on côtoie les mêmes personnes, le niveau de confiance augmente et on partage au fur et à mesure des petites et des grandes problématiques qui créent au final des valeurs. Le territoire est le creuset des relations entre le système de production et le système de connaissance." Preuve en est le benchmark international, réalisé sur les années 211 et 2012 par ParisTech sur l'innovation. D'après cette étude, ce sont les territoires où on partage entre acteurs publics et privés qui sont les plus créatifs, innovants et créateurs de valeurs.
Vision "ad'hocatrique"
Dans ce domaine, la région Ile-de-France s'en sort plutôt bien. "Nous bénéficions d'une fourchette magique des 30-40%. Le PIB de la région représente 30% du PIB national et les dépenses de R&D 40% des dépenses nationales, a expliqué Bao Nguyen Huy, délégué régional à la recherche et à la technologie (DRRT) de la préfecture. La région concentre 35% des unités de recherche, 39% des chercheurs et 38% des demandes de brevets en France. Elle dispose de neuf pôles de compétitivité, dont trois mondiaux, et représente 36% des emplois de conception-recherche des entreprises multirégionales… Outre les pôles de compétitivité, elle a mis en place les initiatives d'excellence (Idex), et des Satt pour mutualiser la capacité de valorisation des organismes et universités et injecter des fonds publics pour amener les inventions latentes aux brevets. Trois Satt ont ainsi été créées, disposant de 60 millions d'euros chacune. "Elles répondent à un besoin d'ingénierie pour amener le code défini par les chercheurs à maturité industrielle, ce qui n'est pas dans les gênes des chercheurs", a expliqué Bao Nguyen Huy, qui considère que les entreprises devraient se servir des universités et organismes de recherche comme d'un "service public de l'innovation". "Il faut demander aux partenaires économiques d'avoir le réflexe de se tourner vers la recherche", a-t-il souligné. En juin 2011, la région a adopté une stratégie de développement économique et d'innovation (SRDEI) pour la période 2011-2014, qui définit les axes prioritaires pour cette période (renforcement des PME et PMI, développement de la solidarité des territoires et développement de l'innovation).
Le nouveau plan gouvernemental pour l'innovation prévoit quant à lui la mise en place d'une coordination interministérielle spécifique à la politique d'innovation, sous l'autorité du Premier ministre, et d'un comité de pilotage de l'innovation, placé sous l'autorité du président du conseil régional. Ce dernier comité sera responsable d'organiser l'ensemble des acteurs de l'innovation sur un territoire, dans le cadre de l'élaboration du schéma régional de développement économique et d'innovation. La région prend ainsi la main de l'innovation sur son territoire. Mais d'après Richard Le Goff, il n'y a pas de modèle particulier qui s'impose. "On ne voit pas dans nos études, en France et à l'international, se dégager un leader institutionnel sur la question de l'innovation, précise-t-il, il y a des recompositions de compétences, comme dans la dernière loi de décentralisation qui accorde le développement économique à la région, mais il n'y a pas d'échelon qui s'impose réellement. Tous, au niveau national, régional, départemental, au niveau des agglomérations, participent à l'innovation. Ce qui est important c'est d'avoir une vision 'ad'hocatrique", c'est-à-dire de trouver la bonne solution au bon endroit."
Emilie Zapalski
"L'impact économique des pôles est sous-estimé"
D'après une étude de l'Insee publiée le 7 novembre 2013, la participation aux pôles de compétitivité n'a pas eu un véritable effet de levier en matière de dépenses de recherche, ni sur le nombre de brevets déposés, ni sur le chiffre d'affaires des entreprises. "Les entreprises des pôles n'auraient pas déposé plus de brevets que les entreprises restées hors des pôles", affirme ainsi l'étude. Pourtant, d'après Richard Le Goff, directeur de l'Unité d'économie appliquée à l'Ecole nationale supérieure des techniques avancées (Ensta ParisTech), la valeur créée par les pôles est sous-estimée.
Localtis : Pour vous, les pôles créent davantage de valeurs que ce que l'on évalue ?
Richard Le Goff : Il y a point que l'on ne voit pas dans la politique des pôles. Il s'agit du "learning by commuting". Quand un industriel entre dans un pôle, il bénéficie d'un réseau. Il explore ce réseau et sélectionne quelques liens privilégiés. Après quoi, il peut arriver que des partenaires qui se sont ainsi rencontrés s'isolent du pôle pour créer développer leurs idées communes et ainsi déposer des brevets. Dans ce cas, il faut accepter de fermer les portes, la relation ne se fait plus dans le pôle mais en dehors, à deux.
Est-ce que cela signifie que le pôle a échoué ?
Cela ne veut pas dire que le pôle concerné a échoué car ces brevets déposés ont bénéficié des soutiens financiers du fonds unique interministériel (FUI). Les industriels et chercheurs à leur origine se sont rencontrés et ont fini par travailler ensemble grâce aux pôles. Le seul problème, c'est que cette création de valeur est difficile à chiffrer. Du coup, je pense que l'on a tendance à sous-évaluer l'impact économique des pôles.
Est-ce que cette création de valeur profite aux territoires qui hébergent les pôles de compétitivité ?
Même si les brevets sont créés en dehors des pôles, l'exploration et l'exploitation des pôles par les industriels et chercheurs a été créatrice de valeur. Cela dope le territoire et cela signifie aussi que ce territoire a la capacité de créer de la valeur et qu'il a réussi à apprendre à des personnes d'horizons différents (industriels, entreprises, chercheurs) à travailler ensemble.
Propos recueillis par E.Z.
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