La prvention de la radicalisation ne pourra pas russir sans les collectivits

July 2024 · 5 minute read


Les collectivités territoriales et les groupements de communes ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention de la radicalisation, estiment les sénateurs Jean-Marie Bockel (UDI-UC) et Luc Carvounas (Soc), dans un rapport qu'ils ont co-piloté pour la délégation sénatoriale aux collectivités et à la décentralisation. Pour cela, les collectivités doivent se doter de véritables "stratégies territoriales" à mener en partenariat avec l'Etat, soulignent les deux élus dans ce rapport qui résulte de nombreuses auditions (voir notamment notre article du 25 novembre 2016), de déplacements et de deux enquêtes menées fin 2016 auprès de communes, d'intercommunalités et de départements.
"Les collectivités peuvent faire beaucoup en matière de prévention de la radicalisation en tirant les leçons et en exploitant les acquis de la politique de prévention de la délinquance engagée depuis vingt ans", a déclaré ce 11 avril Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale, lors de la présentation du rapport à la presse.

Détecter, sensibiliser, protéger les enfants…

Ce rapport de 160 pages - annexes comprises - recense tout un champ d'actions possibles pour les collectivités : la sensibilisation et la formation des personnels sur le terrain, la détection de "signaux faibles", la prise en charge des personnes suivies, la participation à des réseaux d'échanges sur la radicalisation et la manière de la prévenir et, bien sûr, l'action sociale et la protection de l'enfance. Dans ce dernier domaine, "l'implication des conseils départementaux doit absolument se renforcer, notamment dans la perspective du retour des familles en provenance des zones de combat", a insisté Jean-Marie Bockel. 
Certaines collectivités ont d'ores et déjà engagé des politiques de prévention de la radicalisation. C'est par exemple le cas de la ville de Sarcelles qui a commencé à sensibiliser et former ses élus, ses personnels et ceux d'autres institutions. De son côté, la ville de Chalon-sur-Saône a créé une cellule d'une douzaine d'agents municipaux en contact avec la population. Volontaires, ils alertent leur supérieur hiérarchique sur les signes de radicalisation dont ils sont témoins. Ces informations sont transmises aux services de renseignement de l'Etat.
Les collectivités pourront à l'avenir s'inspirer de ces pratiques. Toutefois, les programmes de prévention de la radicalisation qui bénéficieront de fonds publics devront faire l'objet d'une évaluation menée par des experts, préconisent les deux sénateurs. Ils soulignent en effet, à l'instar des sénatrices Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendlé (LR) dans un rapport d'étape de la commission des lois du Sénat (voir notre article du 23 février), que certaines des expériences de lutte contre la radicalisation se sont soldées par "un échec cuisant".

Un soutien indispensable de l'Etat

Les politiques des collectivités doivent s'inscrire dans le cadre d'un partenariat avec l'Etat, car elles ont besoin de son soutien, insistent par ailleurs, les sénateurs. C'est particulièrement le cas lorsque les élus sont confrontés à des "pressions", ou à "la prise de pouvoir" de certaines "structures stratégiques", comme les maisons des jeunes et de la culture et certaines associations. "Les maires sont perdus face à un mouvement qui les dépasse", a estimé Luc Carvounas. Il revient aussi à l'Etat de contrôler l'obligation scolaire, ou encore le fonctionnement des établissements scolaires privés sous contrat.
Concernant le rôle de l'Etat, Luc Carvounas a estimé qu'il n'allait pas en se renforçant. Ainsi, dans le Val-de-Marne, qui est pourtant l'un des départements où l'on enregistre le plus de signalements, l'Etat compterait réduire par deux (de 18 à 9) le nombre des commissariats "sous prétexte de mutualiser les moyens". "Il faut que l'Etat prenne conscience des responsabilités qui sont les siennes, les maires ne peuvent pas tout faire seuls", a déclaré le sénateur-maire d'Alfortville. "Nous sommes dans une forme de guerre nouvelle, a-t-il poursuivi. Elle ne peut pas être gagnée si on n'y est pas tous en même temps et chacun dans son domaine."
Relayant les préoccupations des élus locaux, les sénateurs ont dit attendre de l'Etat qu'il adresse davantage d'informations sur les individus radicalisés, ou en voie de l'être. Selon le rapport, près de 17.400 individus sont inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Parmi eux, 2.046 ont été "formellement identifiés sur une zone de combat en Syrie et en Irak."

"On est au début d'un long chemin"

Or, "l'information simple ne circule pas", s'est inquiété Luc Carvounas. "Les services de l'Etat vont devoir changer leurs pratiques et vite", a-t-il dit. Les rapporteurs ne souhaitent pourtant pas la communication des "fiches S" demandées avec insistance par certains élus. Ces outils ne constituent "pas la solution", estiment-ils. En fait, une "première réponse" au besoin d'information existe déjà : Il s'agit du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (Fijait) créé par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et son décret d'application du 29 décembre 2015. Les responsables des exécutifs locaux peuvent être destinataires des informations qu'il contient "pour les décisions administratives de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément et d'habilitation". Toutefois, ce fichier est une "réponse incomplète". C'est la raison pour laquelle les sénateurs préconisent la création d'une base d'informations, "distincte du fichier S" et fournissant aux présidents d'exécutifs locaux les données nécessaires à l'exercice de leurs mandats.
Le soutien de l'Etat doit aussi être financier, a enfin insisté Jean-Marie Bockel. Dans le contexte de réduction des dotations aux collectivités territoriales, "beaucoup d'entre elles n'ont pas les moyens de lancer seules des programmes de prévention ou de nouvelles actions". Avec son collègue, il recommande d'abonder le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), de "quelques dizaines de millions d'euros".
"On est au début d'un long chemin, le terrain est encore vierge", a estimé Luc Carvounas. "Si l'on veut, on peut", a ajouté Jean-Marie Bockel. "On l'a démontré avec la politique de prévention de la délinquance, au sujet de laquelle il y avait au début beaucoup de scepticisme et des problèmes de moyens. Mais, on y a cru et on s'est engagé de manière partenariale. Avec à la clé des résultats", a-t-il conclu.

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