Pour Francis Cayron, maire de Boisse-Penchot et vice-président en charge de l’action culturelle de Decazeville Communauté : « Bien entendu, il y a eu des réticences et il y en a parfois encore dans la population, mais devant le succès de cette aventure culturelle et artistique qui fait découvrir notre territoire, nous avons voulu la développer dans les villages ruraux, au-delà de Decazeville, la ville centre ».
Converties par les milliers de visiteurs qui le parcourent chaque année, de nouvelles communes demandent maintenant à rejoindre le parcours permanent des œuvres de Street Art. Pour cela, elles proposent des sites à la communauté de communes et prennent en charge la préparation des murs et le coût de la nacelle car « il importe que tous les acteurs contribuent ». Parfois ce sont des entreprises, comme à Boisse-Penchot où une filiale de Figeac Aéro a autorisé l’utilisation d’un réservoir d’eau attenant à l’usine et finance la nacelle et l’hébergement de l’artiste. « Sur les 8 000 véhicules qui passent chaque jour sur l’axe Brive Méditerranée, beaucoup verront l’œuvre et quelques-uns s’arrêteront », poursuit l’élu. Les deux autres murs du village, mis à disposition par la mairie, sont situés le long du Vélo Route du pays decazevillois : « nous déployons les créations selon un circuit logique que suivent, notamment, les autobus scolaires ou de personnes âgées ».
Acculturation des habitants
Sur le fond, rien n’est laissé au hasard non plus : la création des œuvres est l’occasion de faire référence à l’histoire du pays. À Boisse-Penchot par exemple, l’un des bâtiments est celui de la société de joute givordine, pratiquée de longue date sur le Lot. Chaque création est l’occasion de partager dans les visites guidées ou sur les dépliants de l’office du tourisme, l’histoire du lieu. Par ailleurs, un important travail de pédagogie a été déployé, dès le premier festival Mur Murs en 2019, avec des conférences auprès du public scolaire (des classes primaires au lycée), la diffusion de plusieurs films (salles pleines) sur le sujet au cinéma de la ville. « On veut que la population apprenne et connaisse cet art », explique Nicolas Viala, médiateur culturel de Decazeville Communauté. Plusieurs classes ont aussi été associées à la création des œuvres.
Le travail de lobbying auprès des commerçants et patrons d’entreprises, sensibles à cette volonté de rendre le territoire plus beau et attractif, a débouché sur la création d’un fonds de dotation de 53 000 €, auquel s’est ajouté le soutien du Département (40 000 €) et le fonds européen Leader, soit un total de 153 000 € pour lancer la première édition.
Au sein des services, il s’est agi aussi d’expliquer ce que cette discipline apporte au territoire. « Le Street Art, c’est aussi de l’urbanisme », résume Nicolas Viala qui a repéré plusieurs lieux abîmés et manquant de lumière, même s’il insiste par ailleurs : « nous sommes très attentifs à ne pas saturer l’espace public ». La mobilisation des services de l’urbanisme, de l’économie, du social et du tourisme joints, joints à celui de la culture a créé un écosystème puissant pour porter ces premières réalisations.
Du style et de la maîtrise
Côté artistes, chacun est accueilli 6 à 7 jours environ, le temps de la création, logé, nourri et rémunéré. « Il ne s’agit pas d’une commande publique », précise le médiateur. Pourtant l’exigence est forte : complètement libre de sa création, l’artiste est choisi pour la maîtrise de son art, son style, sa capacité à comprendre et revaloriser le site, et à être en lien avec les habitants. Résultat : 23 œuvres créées sur les murs de Decazeville en 2019, avec une grande variété de styles : anamorphose, fresque, art abstrait, trompe-l’œil… L’une d’entre elles, éphémère, a particulièrement marqué les esprits, et les cœurs : Saype, artiste internationalement reconnu pour sa sensibilité poétique, a peint avec des matériaux biodégradables les 10 000 m² de La Découverte, dernière mine à ciel ouvert, fermée en 2000. L’œuvre, dessinée dans l’herbe, représentait un enfant jouant avec différents objets liés à l’écologie, l’ensemble monumental évoquant le changement d’air. Pour cet ancien pays minier, des couleurs et de l’air respirable symbolisent la transformation.
Le succès est immédiat et immense : 110 000 personnes viennent voir les œuvres, qui suscitent des reportages télé, des photographes venus de France et d’ailleurs, des pages dans les magazines spécialisés et sur les réseaux sociaux. Les objectifs sont alors atteints : les habitants expriment leur fierté, parfois leur émotion, de vivre dans une ville reconnue belle par d’autres ; tous les publics, tous âges confondus, profitent des créations ; les friches urbaines sont réinvesties et valorisées ; restaurants et hôtels affichent quasi complet ; bref, la ville se projette vers l’avenir.
Des œuvres dans les 12 communes
Francis Cayron ne le cache pas : « d’ici à la fin de notre mandature, nous souhaitons que chaque commune figure dans le parcours de Street Art ». Déjà, Aubin (3 800 habitants), Cransac-les-Thermes (1 440 habitants), Viviez (1 230 habitants), Firmi, Livinhac-le-Haut accueillent des œuvres. Au total, 41 murs sont mis en valeur, tandis que ceux de Boisse-Penchot sont en cours de préparation. À Livinhac-le-Haut (1 130 habitants), l’artiste Ememem, « chirurgien du macadam », est venu déposer dans les nids-de-poule du village, des mosaïques récupérées. Même si le budget annuel (environ 50 000 €) est plus faible qu’au démarrage, « l’important est la souplesse pour rémunérer les artistes selon leur pertinence pour notre territoire et leur popularité », estime Francis Cayron qui se dit « impressionné par l’engagement des artistes » (deux ont travaillé gratuitement), et qui reconnaît volontiers que l’expertise et l’engagement de l’équipe culture sont pour beaucoup dans la réussite de cette entreprise singulière.
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