En commission, les sénateurs ont adopté en première lecture ce 26 octobre le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables (EnR) porté par la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Présenté en conseil des ministres le 26 septembre (voir notre article), ce texte, qui sera examiné en séance au Sénat à partir du 2 novembre prochain, a pour objectif de faire rattraper à la France son grand retard sur les énergies renouvelables.
Dans un contexte de lutte contre le dérèglement climatique et de guerre en Ukraine, avec ses conséquences géopolitiques sur les circuits d'approvisionnement des produits énergétiques fossiles, produits pétroliers et gaz naturel, ce projet de loi vise à accélérer la production des EnR, notamment de l'éolien, du photovoltaïque ou encore de la méthanisation. Il propose des mesures d'urgence temporaires pour accélérer les projets d'EnR et les projets industriels relevant de la transition énergétique (Titre Ier, articles 1er à 6). Il s'agit notamment de préciser les modalités d'information et de participation du public (article 1er), d'étendre le régime de la participation du public par voie électronique (PPVE) aux projets sous déclaration préalable de travaux et aux permis de démolir (article 2) ou encore de faciliter la mise en compatibilité des documents d'urbanisme (article 3).
Les mesures du titre II ont pour objectif d'accélérer le développement de l'énergie solaire thermique et photovoltaïque (articles 7 à 11). Le texte vise par exemple à l'installation de photovoltaïque aux abords des autoroutes et routes à grande circulation (article 7), à permettre l'implantation, dans les territoires soumis à la loi Littoral, de panneaux photovoltaïques au sol (article 9) ou encore à imposer l'équipement des parkings extérieurs existants en ombrières photovoltaïques (article 11).
Le titre III concerne le développement de l'éolien en mer (articles 12 à 16) et propose notamment d'adapter et de clarifier le statut juridique des éoliennes flottantes (article 14). Enfin, le titre IV comporte des mesures transversales de financement des énergies renouvelables et de partage de la valeur (articles 17 à 19) et le titre V des dispositions diverses (article 20).
"Renforcer l'ambition" du projet de loi
"Ce texte est bienvenu dans le contexte actuel géopolitique et énergétique troublé, mais les nombreuses lacunes du texte au regard du retard pris par la France dans le développement des énergies renouvelables sont à déplorer, a estimé dans un communiqué la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond. Les énergies renouvelables sont pourtant indispensables à la préservation de notre souveraineté énergétique et à l’atteinte de nos objectifs climatiques." Elle a donc voulu "renforcer l’ambition" du projet de loi et adopté 129 amendements, selon quatre objectifs.
Elle a d'abord cherché à "renforcer la planification territoriale, améliorer la concertation des projets et favoriser la participation des collectivités territoriales à leur implantation". "Sans appropriation locale des projets d'énergies renouvelables, les contentieux continueront de fleurir et les projets peineront à sort de table", estime la commission qui a voulu faire de cette problématique un "axe majeur" de ses propositions, à travers un titre préliminaire ajouté au projet de loi. Il s'agit de "passer d’une logique prescriptive et descendante – où Paris décide et les territoires exécutent – à une approche participative et ascendante – où collectivités territoriales et citoyens contribuent, au plus près du terrain, à la politique énergétique du pays, en cohérence avec les orientations fixées nationalement".
"Dispositif global de planification territoriale"
Les sénateurs proposent ainsi d’instituer un "dispositif global de planification territoriale" du déploiement des EnR permettant d’abord aux maires, puis aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en lien avec les départements et les syndicats d’énergie et enfin aux comités régionaux de l’énergie d'être à la manœuvre pour définir des zones propices à l’implantation d’installations de production d'EnR, qui pourront ensuite, "et seulement ensuite", être avalisées par décret. Autres propositions retenues par la commission : renforcer la voix des élus locaux, en leur permettant de s’exprimer favorablement ou défavorablement sur l’implantation d’une série de projets d’EnR, associer plus étroitement les particuliers, entreprises, associations et collectivités territoriales à proximité d’un site d’implantation, en demandant aux porteurs de projets de leur proposer une participation à l’investissement ou au capital, comme cela existe au Danemark, et instituer une planification spatiale et temporelle spécifique au développement des projets éoliens en mer. "Il convient d’une part d’identifier en priorité les zones propices au sein de la zone économique exclusive (ZEE) et, d’autre part, de privilégier, pour les appels d’offres qui seront lancés à compter de la publication de la présente loi, des zones d’implantation situées à une distance minimale de 40 kilomètres du rivage, si et seulement si la technologie le permet", avance la commission.
Simplification des procédures
Autre objectif des modifications apportées par les sénateurs : simplifier les procédures applicables aux projets d’ENR. Selon eux, sans simplifications "substantielles" apportées au cadre des autorisations administratives concernant les projets d'EnR, l'atteinte de l'objectif que s'est lui-même fixé le gouvernement – diviser par deux les délais de déploiement des projets – est "illusoire". Ils font donc assaut de propositions en ce sens : création de nouvelles dérogations procédurales temporaires (autorisation environnementale, enquête publique, recours contentieux) et encadrement de la phase d’instruction des projets par les services de l’État ; attribution automatique de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité pour les lauréats d’un appel d’offres relatif aux ENR ; instauration d’un fonds de garantie pour couvrir les risques contentieux des porteurs de projet ; désignation de référents préfectoraux, dans chaque département, pour l’instruction de l’ensemble des autorisations relatives aux projets d'EnR et des projets industriels nécessaires à la transition énergétique ; évolutions pérennes aux régimes de l’évaluation environnementale, de l’autorisation environnementale, de la participation du public et du contentieux administratif, "conçues avec le triple objectif de renforcer la concertation en amont pour les projets les plus importants, d’alléger, lorsque c’est possible, la charge pesant sur les services de l’État chargés de l’instruction des projets et d’accélérer la mise en œuvre des projets en aval" ; amélioration de l’information du public dans le cadre de la procédure de participation du public par voie électronique (PPVE) en prévoyant la possibilité de consulter le dossier du porteur du projet dans les espaces France Services et à la mairie du territoire d'accueil du projet ; mise à disposition par l’État des études techniques et environnementales nécessaires aux porteurs de projet dès le lancement de l’appel d'offres (AO), "afin de faciliter leur travail et de ne pas retarder le lancement des procédures" ; conclusion d’une concession d’occupation du domaine public dès la désignation du lauréat d’un AO pour l’éolien en mer, pour raccourcir les délais administratifs ; application à la ZEE des pouvoirs de régularisation du juge administratif, pour accroître la sécurité juridique des projets éoliens en mer.
Mobilisation des surfaces "à faibles enjeux environnementaux"
La commission estime aussi que l’accélération du développement des EnR "devra passer prioritairement par la mobilisation de surfaces à faibles enjeux environnementaux et fonciers", et qu'il faut "stimuler l’autoconsommation". Dans cette perspective, elle a adopté plusieurs amendements pour renforcer les obligations de couverture en énergie solaire des bâtiments non résidentiels existants et nouveaux, faciliter l’achat de procédés de production d’EnR afin d’équiper ces bâtiments, par l’introduction d’un suramortissement bénéficiant aux entreprises et l’extension du bénéfice des certificats d’économie d’énergie (CEE) aux installations renouvelables électriques, lever les contraintes réglementaires et techniques pouvant limiter l’installation d’ouvrages renouvelables sur les bâtiments, notamment en rendant les bâtiments neufs prêts à accueillir des EnR et en limitant le pouvoir des architectes des bâtiments de France (ABF) pour l'installation en zone classée.
Dans le cadre des opérations d’autoconsommation, les sénateurs veulent en outre permettre aux tiers investisseurs d’exercer une mission de gestion ou de revente du surplus de l’électricité, autoriser l’implantation de modules photovoltaïques innovants sur les voies ferrées et prévoir la mise à disposition du foncier de l’État et de ses opérateurs pour le développement d'EnR sur des surfaces artificialisées.
Sécurisation juridique de certaines mesures
Enfin, une autre salve d'amendements vise à sécuriser juridiquement des dispositions jugées "à forts enjeux pour les territoires". Dans ce cadre, les sénateurs ont précisé l’entrée en vigueur et l’application dans le temps de plusieurs dispositions temporaires et pérennes. Ils ont aussi voulu s’assurer que l’ensemble des énergies et techniques indispensables à l’atteinte des objectifs énergétiques sont bien incluses dans le champ du texte – ils ont ainsi étendu plusieurs dispositifs proposés par le Gouvernement à la chaleur renouvelable. Ils ont prévu des dispositions pour améliorer la qualité des études d’impact environnementales, clarifier la possibilité d’implantation des installations de méthanisation agricole en zone agricole au titre du code de l’urbanisme, limiter la gêne que peuvent représenter les parcs éoliens pour les activités du ministère de la défense afin de permettre une répartition plus harmonieuse de ces installations sur le territoire national ou encore prévenir les pratiques de dumping social sur les navires battant pavillon étranger dans les parcs éoliens en mer, en étendant à la ZEE le dispositif de l’"État d’accueil". La commission a également adopté un amendement visant à favoriser l’adaptation des infrastructures portuaires au développement des installations de production des EnR en mer, en prévoyant l’ajout d’un volet dédié dans la Stratégie nationale portuaire.
Adaptation des documents d'urbanisme locaux
De son côté, la commission des affaires économiques, compétente en matière d'énergie et d'urbanisme, s'est vu déléguer l'examen au fond sur les articles 3, 6 et les titres IV et V du texte, qui touchent aux documents et aux autorisations d’urbanisme, aux dispositifs de soutien public et privés aux projets d'EnR, dont les contrats d’achat de long terme et les contrats d’expérimentation, ainsi qu’au partage territorial de la valeur de ces projets. Elle a elle aussi adopté plusieurs amendements notables pour "consolider" et compléter le texte.
Tout d'abord, concernant les procédures et les documents d'urbanisme (art.3), elle a souhaité "rétablir l’équilibre entre simplification et respect des compétences décentralisées, en privilégiant des solutions concrètes de mobilisation de foncier à la main des communes et EPCI, plutôt qu’une approche descendante d’implantation forcée par l’État", avec la suppression de l’extension de la mise en compatibilité au projet d'aménagement et de développement durable (PADD). Elle a aussi voulu s'assurer que "les mesures proposées couvraient bien l’ensemble des besoins de simplification nécessaires aux territoires", en visant non seulement les plans locaux d’urbanisme mais aussi les schémas de cohérence territoriale (SCoT). Elle a amélioré la prise en compte par ces derniers de la planification spatiale de la production d'EnR et étendu l’ensemble des simplifications proposées au stockage de l’électricité. Elle a complété l’article par des simplifications relatives à l’implantation de méthaniseurs. Elle a également apporté des articulations jugées nécessaires avec le cadre juridique du "zéro artificialisation nette" (ZAN), "afin que les règles de réduction de l’artificialisation ne viennent pas faire échec aux simplifications proposées".
Procédures de raccordement
La commission a en outre souhaité encadrer l’habilitation à légiférer par ordonnance pour simplifier et accélérer les procédures de raccordement (article 6) pour maintenir les compétences des communes, groupements de communes et régions, proscrire une hausse des coûts de raccordement pour les redevables et maintenir les rabais spécifiques pour les producteurs d’EnR et les consommateurs électro-intensifs. De plus, elle a réduit le délai d’habilitation (de 9 à 6 mois), ajouté une concertation préalable et inscrit deux dispositions dans le "dur" de la loi, à savoir la suppression d’une contribution acquittée par les communes ou leurs groupements et l’attribution à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) d’une compétence pour approuver les contrats d’accès aux réseaux publics de distribution.
Concernant l’installation d’ouvrages de raccordement au réseau de transport public d’électricité (art. 16), la commission des affaires économiques a voulu confier la compétence au représentant de l’État dans le département, après avis des communes ou des groupements concernés et de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Elle a imposé la construction en souterrain de tels ouvrages, sauf contrainte environnementale, et permis qu’ils soient exonérés de l’objectif zéro artificialisation nette.
Contrats d'achat de long terme
Elle a aussi voulu consolider les contrats d’achat de long terme (art. 17) pour mieux articuler les compétences de la CRE avec le principe de liberté contractuelle et garantir que le recours aux power purchase agreements (PPA) s’effectue selon une logique complémentaire aux dispositifs de soutien publics, en l’espèce les obligations d’achat ou les compléments de rémunération attribués par appels d’offres, en accord avec le porteur de projet et sans effet rétroactif. Elle a aussi souhaité ouvrir le dispositif des sociétés de financement de long terme à tout consommateur final. En outre, elle a étendu le dispositif des PPA au biogaz, gaz renouvelable et gaz bas-carbone et facilité le recours des collectivités ou de leurs groupements à ces PPA. Elle a également voulu consolider les appels d’offres, en confortant le critère du bilan carbone conditionnant l’accès aux dispositifs de soutien publics précités, afin qu’il puisse prendre en compte les minerais et métaux stratégiques, comme elle l'avait recommandé dans son rapport d’information sur la souveraineté économique.
Régime de partage territorial de la valeur
La commission a souhaité par ailleurs "rendre plus opérationnel" le régime de partage territorial de la valeur (article 18) pour cibler les communes ou leurs groupements, et préférer une redistribution publique et collective, à une redistribution privée et individuelle, qui pèserait selon elle sur les finances publiques et fragiliserait la péréquation tarifaire. Elle a intégré au dispositif les communes "en covisibilité" et visé l’ensemble des sources d’EnR, "dans un souci de neutralité technologique". Elle a de plus institué un dispositif de contribution territoriale au partage de la valeur, permettant d’utiliser la redistribution directe ou indirecte vers les communes ou groupements d’implantation comme un critère de sélection des projets d’électricité renouvelable ou de biogaz, et prévu que les maires des communes ou les présidents de leurs groupements soient informés par les sociétés de financement de production d'EnR lors de la souscription de parts, à la constitution comme au renouvellement de ces sociétés.
Concernant l’application du contrat d’expérimentation au gaz bas-carbone (article 19), la commission a veillé à ce que ce contrat vise l’ensemble des gaz renouvelables. Elle a aussi procédé aux coordinations nécessaires sur les plans de la programmation énergétique, des droits d’accès, des dispositifs de comptage, de l’information préalable des maires, du portail d’information et du guichet unique existants. Dans le même temps, elle a facilité la mise en œuvre du droit à l’injection et du certificat de production.
"Angles morts" du projet de loi
Enfin, la commission a apporté plusieurs dispositions nouvelles sur ce qu'elle estime être des "angles morts" du projet de loi : l’agrivoltaïsme, l’hydroélectricité, l’hydrogène et le stockage. Sur le premier sujet, elle a injecté dans le texte les dispositions de la proposition de loi "en faveur du développement raisonné de l’agrivoltaïsme", adoptée en séance par 251 voix pour et 3 contre, le 20 octobre dernier. L’enjeu pour le sénateur est de conférer à ce type de production d'EnR un cadre légal, pour encourager les projets alliant véritablement production électrique secondaire et production agricole principale, tout en prévenant les risques de conflits d’usages et de projets alibis. Dans le domaine de l'hydroélectricité, la commission a prévu de faciliter les augmentations de puissance, au moins à titre temporaire, en cas de menace grave pour la sécurité d’approvisionnement.
Elle a aussi cherché à conforter l’hydrogène, en prévoyant son intégration à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et aux comités régionaux de l’énergie, en consolidant le rôle de la CRE et des autorités organisatrices de la distribution d’électricité et de gaz (AODE), en favorisant les mutualisations dans le cadre des plateformes industrielles et en instituant un référent unique, à titre expérimental, pour les porteurs de projets. Enfin, elle demande que la prochaine loi quinquennale sur l’énergie fixe des objectifs en matière de stockage, car selon elle, les EnR "pêchent encore trop par leur intermittence".
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFop6unmprBbrDEZqOooV2owrN5y5qanJ2cmr%2BiwMiopWaclah6prrEq56inaNiv6a6zq6tnqSRl7mmv4ylnKxlo5q7osDErqmsZaaawq2xza1kq52em7yzr8SrZKWdow%3D%3D