Dernier né des dispositifs de financement mis en place pour les organisations de l'économie sociale et solidaire (ESS) suite à la loi de 2014, le titre à impact social (en anglais, social impact bond, SIB) s'apprête à faire ses premiers pas en France. Mis en oeuvre pour la première fois au Royaume-Uni il y a dix ans, autour d'un programme de réinsertion d'anciens prisonniers à Peterborough, le SIB a depuis été expérimenté dans plusieurs pays dont les Etats-Unis, le Canada, la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et le Portugal. Rebaptisé chez nous "contrat à impact social" (CIS), l'outil est destiné à permettre le financement d'expérimentations sociales, par la mise en relation entre un opérateur - association, entreprise sociale -, une collectivité publique - Etat, collectivité locale -, un investisseur - banque, établissement financier institutionnel, fondation, fonds d'investissement à impact social, fonds d'épargne solidaire, etc. - et un évaluateur indépendant.
Ces CIS ont vocation à financer de nouveaux programmes de prévention des risques sociaux répondant de façon innovante à des besoins jusque-là non satisfaits. L'investisseur finance pour une durée limitée le fonctionnement du programme, mis en œuvre par l'association partenaire. Au terme de ce délai et en cas d'atteinte des objectifs fixés initialement, l'investisseur se voit rembourser son apport par la puissance publique, avec éventuellement une petite rémunération variable en fonction des résultats.
Les objectifs fixés au départ sont relatifs à la performance sociale du programme - l'amélioration de l'insertion professionnelle des jeunes, par exemple. L'atteinte de ces objectifs doit en théorie permettre également à la collectivité de faire des économies. Le CIS est ainsi présenté comme un dispositif sans risque pour les pouvoirs publics : si les objectifs ne sont pas atteints, la collectivité ne rembourse par l'investisseur ; si les objectifs sont atteints voire dépassés, la collectivité rembourse et rémunère l'investisseur, tout en ayant évité d'autres dépenses qui auraient été plus conséquentes. En cas de réussite, la collectivité peut alors choisir de mettre en oeuvre à plus grande échelle le programme.
Trois casquettes possibles pour l'Etat : "payeur final", garant du bon fonctionnement, intermédiaire
Sous la houlette de Martine Pinville, secrétaire d'Etat en charge de l'ESS, l'appel à projets interministériel présenté le 15 mars vise à fixer un cadre sécurisant pour les porteurs de projets, les pouvoirs publics et leurs partenaires. L'Etat interviendra dans quelques projets au titre de "payeur final" ; les montants des projets seront "de quelques centaines de milliers d'euros à, dans certains cas, quelques millions d'euros" et les différents ministères seront mobilisés selon la thématique du projet.
Lorsqu'une collectivité locale sera partenaire du contrat, le ministère propose d'examiner le projet dans une perspective de labellisation. Ce label aura l'intérêt de "cautionner la pertinence du projet, la solidité de la mécanique, afin de sécuriser la collectivité", selon une conseillère de la secrétaire d'Etat.
Autre cas de figure : si le "consortium" n'est pas entièrement formé, le porteur de projet pourra déposer un appel à manifestation d'intérêt sur un site internet dédié. Le ministère jouera alors le rôle d'intermédiaire pour qu'un éventuel partenariat se noue autour du projet.
L'appel à projets est ouvert jusqu'à janvier 2017. La sélection des projets s'effectuera en cinq fois, entre juin 2016 et mars 2017 (voir le site dédié, lien ci-contre, pour les détails).
Des idées et des inquiétudes
Certaines associations et entreprises sociales ont déjà pris les devants. C'est le cas de la Sauvegarde du Nord qui, avec le conseil départemental du Nord, souhaiterait utiliser le contrat à impact social pour financer un accompagnement intensif de jeunes et familles en difficulté et éviter ainsi des placements (voir l'encadré ci-dessous).
Les autres projets envisagés ont trait à la création d'emploi en insertion autour d'un "pôle de logistique urbaine douce" (groupe Ares), à la formation et l'insertion de publics fragilisés dans le secteur du numérique (Simplon.co), à la prévention santé auprès de personnes âgées par l'activité physique adaptée (Siel Bleu) ou encore à l'accompagnement à domicile d'enfants handicapés dans la période d'attente d'un accueil en établissement (Alter'Ego Educ).
Si les idées ne manquent pas de la part d'acteurs de l'ESS désireux d'expérimenter à la fois de nouvelles formes d'accompagnement et de nouvelles modalités de montage, d'autres associations ont récemment exprimé leurs craintes sur le dispositif. Dans un texte diffusé le 11 février 2016, le Collectif des associations citoyennes dénonçait, avec d'autres réseaux associatifs et des universitaires, l'arrivée en France des titres à impact social. Ils mettaient notamment en avant le risque que ce soit les investisseurs qui "déterminent à la fois les actions à financer, les indicateurs de performance et les objectifs (chiffrés) à atteindre".
Sans s'opposer au dispositif, le mouvement associatif a appelé, dans un communiqué du 16 mars, à ouvrir un "débat public" autour de la mise en œuvre des CIS, afin de "définir le cadre dans lequel de tels projets pourraient être expérimentés, et pour qu'une évaluation exigeante du dispositif soit ensuite réalisée". Parmi les points à examiner : la "nature de l'investisseur social", le type de projets éligibles, la gouvernance mise en place, les "exigences liées à l'évaluation de l'action" ou encore le "cadre juridique liant les différentes parties".
Une rémunération "raisonnable" de l'investisseur en cas de succès
Quant aux collectivités, si certaines voient dans le CIS l'opportunité d'accroître leurs capacités d'action, la plupart sont échaudées par d'autres dispositifs présentés en leurs temps comme des innovations financières, tels que les partenariats public-privé ou encore les emprunts à taux variables, dits par la suite "toxiques". "C'est compliqué de travailler avec des collectivités, on leur explique qu'on n'est pas juste des iconoclastes, qu'on a une vraie réflexion", a témoigné Christophe Itier, directeur général de la Sauvegarde du Nord.
Répondant pour partie aux inquiétudes, Martine Pinville a tenté le 15 mars de se montrer rassurante : "Il ne s'agit à aucune moment de substituer ce dispositif à la solidarité nationale" mais de "soutenir l'intervention sociale en ajoutant de nouveaux moyens pour développer de nouveaux dispositifs de prévention". Sur la rémunération des investisseurs en cas de succès du projet, le CIS à la française n'aura, selon elle, rien à voir avec les social impact bonds anglo-saxons : "Si un gain est avéré, il aura un bonus de l'Etat [ou de la collectivité locale, ndlr], mais ce sera raisonnable."
Encore faut-il que les taux d'intérêt soient suffisamment attractifs pour que les investisseurs, même à vocation philanthropique, acceptent d'assumer le risque. A New York, un programme mené à partir de 2012 pour prévenir la récidive de jeunes délinquants s'est soldé par un échec ; les investisseurs - la banque Goldman Sachs et la fondation du maire, Bloomberg Philanthropies - ont donc perdu leur mise. La ville de New York a toutefois pu apprendre de cette expérimentation, sans perdre d'argent.
Des conditions à réunir pour que le recours au contrat soit pertinent
La secrétaire d'Etat a en outre assuré que les projets ne seraient menés que lorsque les conditions sont réunies, notamment la "capacité à avoir des données" permettant de d'évaluer la réussite ou non d'une expérimentation. La labellisation prévue par l'Etat vise à garantir en outre le bon équilibre des contrats.
Quant à l'ingénierie financière, des opérateurs tels que le Comptoir de l'innovation ou Favart proposent leurs services pour structurer le montage et jouer le rôle d'interface entre le porteur de projet, la collectivité et l'investisseur. L'enjeu de cet appui est notamment de "garantir l'indépendance des parties prenantes" et de s'assurer que les conditions de réussite sont au départ réunies, pour Yoann Geffroy, dirigeant de Favart. Selon lui, il importe de réserver les CIS aux domaines où "des gains importants sont possibles". Comprenez : des domaines où une action innovante de prévention permettra vraisemblablement d'éviter de lourdes dépenses ultérieures.
Nul doute que le choix des premiers projets et la qualité des dispositifs d'évaluation auront un impact majeur pour l'avenir de l'investissement à impact social en France. Autre facteur décisif : le degré d'appétence des investisseurs à prendre en charge un risque financier pour un bénéfice potentiel limité. La Caisse des Dépôts, Bpifrance, le Crédit coopératif ou encore BNP Paribas et le Crédit agricole auraient d'ores et déjà manifesté leur intérêt.
Caroline Megglé
Dans le Nord fragilisé, le contrat à impact social pour restructurer la protection de l'enfance
"Si on renforce l'accompagnement éducatif dans les familles, on va éviter le placement." Pour Christophe Itier, directeur général de la Sauvegarde du Nord, la "restructuration de l'offre de la protection de l'enfance" est à la fois un impératif pour les enfants et les familles, mais aussi pour les finances du département du Nord. Ce dernier est l'un des plus en difficulté de France. La protection de l'enfance représente son deuxième budget d'intervention, avec 11.000 enfants placés en 2014 et des prises en charge pas toujours bénéfiques pour l'enfant et sa famille.
Le coût des placements empêche toutefois le département de financer de nouvelles modalités de prévention. La Sauvegarde du Nord, qui accompagne aujourd'hui quelque 7.000 mineurs du département en action éducative en milieu ouvert (Aemo), a eu donc l'idée d'utiliser un contrat à impact social pour financer un nouveau type d'accompagnement à domicile. Plus intensif que l'Aemo actuellement conduite, cet accompagnement mobiliserait des équipes pluridisciplinaires montées "sur-mesure" pour des familles parmi les plus fragilisées.
"L'objectif est d'éviter ainsi entre 100 et 200 placements sur les 3 ans du programme", précise Christophe Itier, soit une économie de 4 à 8 millions d'euros pour le département. Et, dans ce projet, pas de risque que l'on suspecte l'association de choisir les "bons publics" pour que cela fonctionne, puisque c'est le juge qui orienterait les enfants dans cette Aemo nouveau format.
"Pour que ce dispositif soit vertueux, il faut une stricte indépendance des acteurs", poursuit le responsable associatif. Ce serait selon lui le cas, par l'intervention du juge, mais aussi par l'accompagnement du Comptoir de l'innovation qui monterait le dispositif et assurerait l'interface entre les parties - BNP Paribas serait l'investisseur - et, enfin, par l'organisme d'évaluation indépendant qui serait désigné.
Avec ce projet, Christophe Itier espère démontrer que les CIS, en apportant des moyens supplémentaires à des collectivités paralysées par les contraintes financières, peut être un "levier d'accélérateur pour la réforme de politiques publiques".
C. Megglé
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